De la compétence du juge français en matière de saisie conservatoire de navire.

15/11/2023

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu deux arrêts de grande importance pratique pour les gens de mer, qui réclament des créances salariales ou indemnités à leur employeur : seul le JEX du tribunal judiciaire est alors compétent pour ordonner la saisie conservatoire du navire.

Dans le premier arrêt, une société propriétaire d’un yacht, battant pavillon des îles Marshall, a engagé un capitaine et une cheffe cuisinière marin. Le navire a été transporté par cargo aux USA vers la Floride, les deux salariés ayant participé aux préparatifs de ce transport. Estimant être titulaire d ‘une créance maritime de nature salariale, portant du des salaires non payés, des congés payés, des indemnités de rupture des contrats de travail, ils ont sollicité du président du tribunal de Commerce d’Antibes la saisie conservatoire du navire, ce qui a été autorisé par ordonnance le 4 mai 2020. Les salariés ont saisi le conseil de prud’hommes de Cannes, invoquant la rupture de leurs contrats de travail aux torts de l’employeur, la Sté Apollo Global Marine[1] LLC. Le 10 mai 2022, ce conseil de prud’hommes les a déboutés intégralement de leur demande, assimilant leur prise d’acte de la rupture des contrats à une démission volontaire de leur part. Ils ont relevé appel de ces jugements.

Dès le 18 novembre 2020, l’employeur a assigné les deux marins devant le tribunal de commerce d’Antibes, en référé, aux fins de rétractation des deux ordonnances autorisant la saisie conservatoire du navire et aux fins de restitutions des sommes mises en séquestre : 107 448 et 125 676 euros. Le 15 février 2021, le tribunal de commerce d’Antibes a débouté la société de ces demandes de rétractation. C’est alors l’employeur qui a fait appel et c’est sur cet appel que la cour d’Aix-en-Provence a statué.

 

La saisie des navires est en droit français, soumise à un double régime : un régime international exprimé notamment par la Convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, et un régime propre au droit français, issu des articles L. 5114-22 et R. 5114-15 et suivants du code des transports. La saisie en cause a été pratiquée sur les deux fondements.  L’article 6 al. 2 de la Convention de Bruxelles renvoie les règles de procédure à la loi de l’Etat contractant ; il en est de même de l’article 4 concernant l’obtention de l’autorisation. C’est donc la loi française qui détermine la compétence des juges quand la saisie a lieu en France.
Il résulte de la lecture combinée de l’article L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution et de l’article L. 721-7-2° du code de commerce, que le juge compétent est par principe le juge de l’exécution, dit JEX, du tribunal judiciaire, le président du tribunal de commerce ne disposant que d’une compétence résiduelle en la matière, lorsque celle-ci tend à la conservation d’une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale.

Si les gens de mer invoquent bien une créance « maritime » au sens de la Convention de Bruxelles, il s’agit de créances salariales, liées à leur contrat de travail ou d’engagement maritime. Ainsi le président du tribunal de commerce d’Antibes n’était pas compétent pour ordonner la saisie conservatoire du navire. La cour d’appel rétracte les ordonnances et ordonne la restitution des sommes séquestrées.


La codification de la partie législative du droit des transports avait largement laissé de côté la question de la saisie des navires, cette partie, issue de l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010, ne contenant que quelques textes sur ce sujet. La codification de la partie réglementaire du code, consacrée à cette matière, était attendue et est intervenue par le décret n° 2016-1893 du 28 décembre 2016. La saisie-exécution, qui permet la vente aux enchères du navire, fait l’objet de 28 articles (R. 5114-20 à R. 5114-47), alors qu’elle est fort rare par rapport à la saisie conservatoire, nettement plus fréquente, qui a eu droit à cinq articles (C. transp., art. R. 5114-15 à R. 5114-19). Le renvoi général au code des procédures civiles d’exécution est du plus grand intérêt (art. R. 5114-15 C. transp.). Certaines dispositions générales du code des procédures civiles d’exécution étant inadaptées à la saisie conservatoire des navires, les articles R. 5114-16 et suivants contiennent des dispositions particulières. Les deux plus importantes concernent la détermination de la compétence juridictionnelle et l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable.

S’agissant de la compétence d’attribution pour autoriser la saisie conservatoire, la concurrence entre le juge de l’exécution (JEX) et le président du tribunal de commerce ne semblait pas remise en cause, bien que les nouveaux textes paraissent parfois oublier que le président du tribunal de commerce dispose, lui aussi, de cette compétence, sur le fondement des articles L. 721-7, 2° du code de commerce et L. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque la saisie est demandée avant tout procès et tend à la conservation d’une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale, ce qui est courant en matière maritime. Le droit commercial étant né du droit maritime, toute l’activité maritime avait historique tendance à être considérée comme commerciale, même la pêche maritime : ainsi les saisies conservatoires de navires relevaient de la compétence du président du tribunal de commerce. Le JEX est longtemps apparu comme un juge « terrestre ».

 

S’agissant de la compétence territoriale, qui est souvent, en la matière, une compétence internationale, les articles R. 5114-16 et R. 5114-17 du code des transports règlent définitivement une question qui avait surgi avec les articles R. 511-2 et R. 511-3 du code des procédures civiles d’exécution. Selon ces derniers textes, c’est le juge du lieu où demeure le débiteur qui est compétent pour autoriser une mesure conservatoire, toute clause contraire étant réputée non écrite et le juge saisi à tort devant relever d’office son incompétence. Une interprétation stricte de ces textes à la saisie conservatoire des navires aurait conduit les juridictions françaises à se déclarer incompétentes pour autoriser la saisie conservatoire dans un port français de tout navire, dès lors que le débiteur, comme c’est le cas le plus fréquent, demeurait à l’étranger. La Cour de cassation n’a jamais admis un tel excès au mépris de la Convention de Bruxelles de 1952 notamment (Cass. com., 5 janv. 1999, n° 93-19.688 : navire « Gure Maiden »). Mettant fin à l’éventuelle difficulté, l’article R. 5114-16 du code des transports attribue compétence au juge du lieu d’exécution de la mesure, tandis que l’article R. 5114-17 du même code écarte l’application de l’article R. 511-2 précité, déclaré expressément inapplicable aux saisies conservatoires de navires. Cela a le mérite d’être clair.

 

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a mis fin à l’incertitude concernant la compétence du JEX, dès lors que la créance maritime n’est pas strictement commerciale. La surprise est d’autant plus grande pour de nombreux praticiens. Elle a confirmé sa stricte interprétation dans un second arrêt semblable du 28 septembre 2013.

 

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 9 mars 2023, n° 22/08919, navire M/Y Cristales

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 28 septembre 2023, n° 23/04449, navire M/Y Meridiana


v. « Travail maritime international : compétence du Conseil de Prud'hommes confirmée », Observatoire des Droits des marins, 12 avril 2018 – « Contrat international de travail dans le yachting méditerranéen », Observatoire des Droits des Marins, 28 décembre 2021. 



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