L'hépatite C d'un patron-pêcheur, reconnue maladie professionnelle ?
06/03/2020
Le capitaine, responsable de l’organisation des soins à bord et la reconnaissance du caractère professionnel de son hépatite C.
Un patron de pêche, atteint d’une hépatite C, a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l’ENIM. Le 19 décembre 2013, le conseil de santé de l'ENIM émet un avis défavorable, au motif que l'affection ne trouvait pas son origine dans un risque professionnel selon le décret du 17 juin 1938. Le 29 juin 2015, le TASS de l'Hérault reconnaît le caractère professionnel de cette hépatite C, au visa de l'article L. 4612-1 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, ce qu'a confirmé la cour d'appel de Montpellier, le 24 octobre 2018. Le 13 février 2020, la Cour de cassation a cassé cet arrêt d'appel et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Nîmes.
1) Le capitaine et l’hépatite C.
L'hépatite C (VHC) est un virus qui s’attaque aux cellules du foie et qui entraine l’inflammation de ce dernier. Il s’agit d’une des hépatites dites virales. Ce virus est présent dans le sang d’une personne infectée et fait partie des maladies à déclaration obligatoire. Il peut demeurer vivant environ 5 à 7 semaines à l’air libre. À long terme, il peut y avoir des conséquences très graves, telles que la cirrhose et dans certains cas, le cancer du foie. Ce virus peut demeurer des dizaines d'années dans l'organisme sans aucun symptôme apparent. Pendant ce temps, la personne infectée peut transmettre le virus à d'autres sans le savoir.
Le capitaine de navire est d'abord assimilé à un personnel soignant par la cour d'appel de Montpellier, en raison de ses obligations de soins à bord : Selon l'article 217-2-04 de l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires, dans sa version applicable en l'espèce, le capitaine est responsable des soins sur les navires sur lesquels n'est pas embarqué un médecin. Le capitaine étant personnellement responsable de l'organisation des soins à bord, ses obligations sont assimilées à celles de tous soignants, c'est-à-dire, de toute personne qui délivre des soins. C'est ainsi qu'il se doit de répondre dans les meilleurs délais aux demandes de soins exprimés par les personnels embarqués, équipages ou passagers et qu'il doit mettre en œuvre tous les moyens disponibles et appropriés afin d'apporter aux patients les soins de la meilleure qualité possible, comme le font les personnes relevant d'un service de secours et de sécurité.
Dès lors, la présomption d’imputabilité professionnelle s’applique : Les soins diligentés par X… dans son activité de capitaine rentrent dans la catégorie des travaux exposant aux produits biologiques d'origine humaine et aux objets contaminés par eux, effectués dans les services médicaux d'urgence, d'aide médicale urgente, voire les services de secours et de sécurité. En conséquence, la condition relative aux travaux susceptibles de provoquer la maladie est remplie, de sorte que l'intimé peut se prévaloir de la présomption d'imputabilité de la maladie à l'activité professionnelle, prévue par l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale (CA Montpellier, 4ème ch. soc., 24 octobre 2018, n° 15/05759, obs. P. CHAUMETTE, "Le capitaine responsable de l'organisation des soins à bord et la reconnaissance du caractère professionnel de son hépatite C", Droit Maritime Français, DMF, 2019, n° 813, pp. 424-432).
La cassation de l’arrêt d’appel, par
la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, intervient sur ce dernier point
réduisant, ainsi le champ de la présomption d’imputabilité professionnelle
(Cass. civ. 2, 13 février 2020, n° 18-26689). La cour d’appel devait constater
le lien entre la pathologie déclarée et l’exercice d’une activité entraînant
affiliation au régime de sécurité sociale des marins. Un tel lien devait être
constaté, donc être démontré.
Il nous semble qu’il s’agit donc de prouver que ce patron pêcheur a effectivement prodigué des soins à bord, susceptible d’être la source de la contamination, ce que la cour d’appel de renvoi, celle de Nîmes, devra établir. Il est possible que ces soins aient été inscrits au journal de bord ; il est possible qu’ils ne l’aient pas été. Des attestations sont envisageables.
2) Le régime des maladies
professionnelles maritimes : preuve et présomption.
Traditionnellement le régime de sécurité sociale des marins connaissait la notion de maladie intervenue en cours de navigation, mais non celle de maladie professionnelle. Le décret n° 96-929 du 21 octobre 1996 a pris en compte les risques d’exposition aux poussières d’amiante, avant même la création en 2000 du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Le décret n° 99-542 du 28 juin 1999 a introduit la notion de maladie professionnelle, le principe de présomption d’imputabilité professionnelle à travers les tableaux insérés au sein du code de la sécurité sociale. Le risque professionnel doit être essentiellement et directement causé par l’exercice de l’activité professionnelle maritime. Dans un premier temps, la causalité professionnelle doit être démontrée : concernant une tendinopathie de l’épaule, alors que le délai de prise en charge prévu par le tableau 57 A était dépassé, la cour d’appel, ayant constaté que le marin rapportait la preuve, qui lui incombait, de l'existence d'un tel lien entre son activité professionnelle et la maladie dont il était atteint, en a exactement déduit que cette affection devait être prise en charge à titre professionnel (Cass. civ. 2ème, 12 mars 2009, n° 07-20298, DMF 2010, n° 710, pp. 47-51, obs. « De la reconnaissance des maladies professionnelles maritimes ». Dans un second temps, les tableaux des maladies professionnelles peuvent conduite à une présomption de causalité professionnelle (P. Chaumette, Droits Maritimes, J.P. Beurier, dir., Dalloz Action, 3ème éd., 2014, n° 414.37, pp. 1028-1029). Ensuite le conseil de santé de l’ENIM recourt aux tableaux des maladies professionnelles du code de la sécurité sociale, s’il existe un lien avec l’activité maritime. Enfin, peut être reconnu d’origine professionnelle une maladie n'ayant pu être traitée de manière appropriée à bord.
Aux termes des articles 21-3 et 21-4 du décret du 17 juin 1938 modifié, une affection ne peut être qualifiée d'origine professionnelle que dans trois hypothèses limitativement prévues, à savoir : une maladie n'ayant pu être traitée de manière appropriée à bord, une maladie qui a trouvé son origine dans l'exercice d'une activité maritime qui a eu pour effet le décès ou la persistance de l'invalidité et une maladie mentionnée dans un des tableaux annexés à l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale. Selon l’ENIM, la condition relative à la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie, n'est pas remplie, de sorte que la présomption d'imputabilité de l'affection déplorée à la profession de marin ne s'applique pas ; l'assuré ne rapporte pas la preuve, d'une part que sa maladie a trouvé essentiellement et directement sa cause dans l'exercice de son activité de marin et d'autre part, que celle-ci a eu pour effet la persistance d'une incapacité permanente partielle.
Les tableaux de maladies professionnelles annexés au Livre IV du code de la sécurité sociale précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la ou les maladies et énumère les affections provoquées. Ces tableaux instituent une présomption d'imputabilité au travail d'une maladie dès lors que celle-ci a été constatée dans un délai maximum et que le salarié a été exposé à un risque de la contracter ou qu'il effectuait des travaux susceptibles de la provoquer.
Ici le patron de pêche est affecté d’une hépatite C (cirrhose hépatique), qui figure au tableau nº 45 B relatif aux « hépatites virales transmises par le sang, ses dérivés et tout autre liquide biologique ou tissu humain ». La condition relative au délai de prise en charge est remplie dans la mesure où ce délai est de 20 ans et où l'assuré qui a cessé son activité en janvier 2012, a déposé sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 15 octobre 2013. Quant à la condition relative à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, le tableau 45 B vise les « travaux exposant aux produits biologiques d'origine humaine et aux objets contaminés par eux, effectués dans les : établissements généraux ou spécialisés de soins, d'hospitalisation, d'hébergement, de cure, de prévention, d'hygiène ; - laboratoire d'analyses de biologie médicale, d'anatomie et de cytologie pathologique; - établissements de transfusion sanguine ; - service de prélèvements d'organes, de greffons ; - services médicaux d'urgence et d'aide médicale urgente ; - services de secours et de sécurité : pompiers, secouristes, sauveteurs, ambulanciers, policiers, personnel pénitentiaire ; - service de ramassage, traitement, récupération de déchets médicaux, d'ordures ménagères ; - services de soins funéraires et morgue. »
3) Le capitaine assimilé à un
soignant.
Le travail en mer, les fonctions de capitaine de navire ne sont nullement prévus par le tableau 45 B des maladies professionnelles. Pour l’ENIM, « si un capitaine de navire est bien responsable des soins, on ne peut pas dire qu'il fasse partie d'un service de secours. Il s'agit donc de secourisme très occasionnel et non régulier ». Cette approche est infirmée par le TASS, comme par la cour d’appel ; elle ne semble pas mise en cause par la Cour de cassation dans son principe, mais la réalisation de soins à bord semble devoir être prouvée.
L’arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires a modifié le décret n° 84-810 du 30 août 1984 modifié, relatif à la sauvegarde de la vie humaine en mer, à l'habitabilité à bord des navires et à la prévention de la pollution, notamment la Division 217 : Dispositions sanitaires et médicales, qui s’applique, sauf disposition expresse contraire, à tous les navires, à l'exception des navires de plaisance, pour lesquels les divisions du volume 4 du présent règlement sont applicables (art. 217-1.01).
Selon l'article 217-2-04 de l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires, le capitaine est responsable des soins sur les navires sur lesquels n'est pas embarqué un médecin. Il peut déléguer la pratique des soins, la maintenance et l'usage de la dotation médicale à un ou plusieurs membres de l'équipage ayant reçu la formation appropriée, réactualisée périodiquement, au moins tous les cinq ans. Ce texte a été modifié légèrement par l’arrêté du 18 décembre 2017 (art. 7). Selon l’article 217-3.06, lorsque qu'il n'est pas embarqué de médecin, la détention et la gestion de la dotation médicale, notamment des médicaments contenant des substances vénéneuses, sont placées sous la responsabilité du capitaine. Seuls l'usage ou la maintenance peuvent être délégués à la personne ayant la pratique des soins.
Le responsable des soins à bord, les personnels chargés des soins d'urgence et les équipes d'intervention sont familiarisées avec les équipements.et les procédures de l'aide médicale à bord et en mer. Les exercices de relevage, de brancardage d'un blessé et les gestes des premiers secours doivent être conduits à une fréquence et de telle manière que l'équipage soit suffisamment entraîné et que les plans d'intervention puissent être affinés voire corrigés en tant que de besoin. Tout membre de l'équipage doit être suffisamment exercé aux opérations qu'il doit effectuer au titre des responsabilités qui lui sont confiées dans le cadre de la prise en charge d'un blessé ou d'un malade à bord (art. 217-2.05).
Les amendements de 1995 de la Convention STCW de l’OMI ont introduit un chapitre VI relatif aux situations d'urgence, à la prévention des accidents du travail, aux soins médicaux et à la survie. La Règle VI/4 porte sur les prescriptions minimales obligatoires en matière de soins médicaux d’urgence et de soins médicaux et renvoie aux dispositions de la section A-VI/4 du code STCW. La Convention du Travail Maritime de l’OIT de 2006 comporte évidemment des dispositions relatives aux soins médicaux à bord des navires (Règle 4.1.1, Norme A4.1.4, B4.1.1). Ce sont les articles 29 et 30 de la Convention 188 de 2007 de l’OIT sur le travail à la pêche qui évoquent les soins médicaux à bord. La Directive 92/29/CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concerne les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour promouvoir une meilleure assistance médicale à bord des navires, notamment la dotation médicale (v. B. Loddé, D. Jegaden, J.D. Dewitte, L. Misery, dir., Traité de médecine maritime, Lavoisier Médecine Ed., Paris, 2015).
Le capitaine étant personnellement responsable de l'organisation des soins à bord, ses obligations sont assimilées à celles de tous soignants, c'est-à-dire, de toute personne qui délivre des soins. C'est ainsi qu'il se doit de répondre dans les meilleurs délais aux demandes de soins exprimés par les personnels embarqués, équipages ou passagers et qu'il doit mettre en œuvre tous les moyens disponibles et appropriés afin d'apporter aux patients les soins de la meilleure qualité possible, comme le font les personnes relevant d'un service de secours et de sécurité.
Ainsi les soins diligentés dans l’activité de capitaine rentrent dans la catégorie des travaux exposant aux produits biologiques d'origine humaine et aux objets contaminés par eux, effectués dans les services médicaux d'urgence, d'aide médicale urgente, voire les services de secours et de sécurité. En conséquence, la condition relative aux travaux susceptibles de provoquer la maladie est remplie, de sorte que le capitaine peut se prévaloir de la présomption d'imputabilité de la maladie à l'activité professionnelle, prévue par l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale.
La Cour de cassation ne met pas en cause cette assimilation elle-même, mais en réduit le champ d'application et la conditionne à la preuve de la réalité de soins donnés à bord, ce que devra examiné la cour d’appel de Nîmes.
Prévention. L’hépatite C (VHC) se transmet par le contact direct du sang d'une personne infectée avec le sang d'une autre personne. Une infime quantité de sang peut suffire à transmettre le virus. À l’heure actuelle, il n'existe pas de vaccin contre l'hépatite C. Heureusement, en prenant certaines précautions, on peut éviter de contracter, de transmettre ou d'aggraver une hépatite C. C’est pourquoi la prévention est importante. Il importe de porter des gants avant de toucher le sang d’une personne, qu’on la sache infectée ou non. Cette précaution s’impose particulièrement au personnel soignant.
Patrick CHAUMETTE, Université de Nantes