Rapport du groupe de travail sur le projet de branche dans le régime ATMP des marins
18/11/2021
Le 10 juillet 2021, nous mettions en ligne un texte « Une branche ATMP en vue à l’ENIM ? » https://www.obs-droits-marins.fr/actualites.html?idArticle="601
Si le régime des pensions des marins reste spécifique, au fil du temps la Caisse Générale de Prévoyance de l’ENIM perd ses particularités, à l’exception des cotisations sur salaires forfaitaires, déterminés par l’administration selon 21 catégories de navigation[i], et non portant sur les salaires réels. Dans le cadre de l’article 46 de la loi n° 2016-816 du 20 juin 2016 pour l’économie bleue, le Conseil supérieur des gens de mer a adopté un rapport sur les axes possibles d’adaptation du régime de protection sociale des marins, le 4 mai 2017. Ce Conseil supérieur, consultatif, considère que le régime de protection sociale des gens de mer est globalement bien adapté aux activités maritimes, y compris les cotisations et contributions sur les salaires forfaitaires[ii]. La création d’une branche accident du travail-maladie professionnelle au sein de l’ENIM est fortement envisagée, sans que la répartition de la charge financière entre la contribution des armateurs et la cotisation des marins soit explicitée. Le comité interministériel de la mer du 17 novembre 2017 a confirmé cette orientation, sans cotisation supplémentaire pour les navigants, sans précision sur une éventuelle contribution patronale[iii].
Le 18 novembre 2021, le rapport sur « l’introduction d’une logique de branche dans le régime accidents du travail – maladies professionnelles des marins » a été remis par M. Philippe LAFFON, inspecteur général des affaires sociales, à Mme Annick GIRARDIN, ministre de la Mer et à Monsieur Laurent PIETRASZEWSKI, secrétaire d'Etat auprès de la ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, chargé des Retraites et de la Santé au travail.
Ci-dessous Synthèse et Recommandations du groupe de travail.
Introduction d’une logique de branche dans le régime accidents du travail - maladies professionnelles des marins
Conclusions du groupe de travail Présidé par Philippe LAFFON, Inspecteur général des affaires sociales
SYNTHESE
[1] Par lettre de mission en date du 4 juin 2021, la ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, le ministre des Solidarités et de la Santé, la ministre de la Mer, le Ministre délégué chargé des comptes publics, le ministre délégué chargé des Transports et le secrétaire d’Etat chargé des retraites et de la Santé au Travail ont chargé M. Philippe Laffon, inspecteur général des affaires sociales, du pilotage d’un groupe de travail sur les modalités d’introduction d’une logique de branche accidents du travail / maladies professionnelles dans le secteur maritime.
[2] Ce groupe de travail a été composé selon une logique paritaire avec les organisations représentatives siégeant au Conseil supérieur des gens de mer
- les six organisations représentatives des marins en activité : Fédération des officiers de la marine marchande (UGICT-CGT), Fédération nationale des syndicats maritimes (CGT), Union fédérale maritime (CFDT), Union nationale des syndicats des marins pêcheurs (CFTC), Syndicat national des cadres navigants de la marine marchande (CFE-CGC), Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services (FO) ;
- les six organisations représentatives des employeurs: Armateurs de France (ADF), Association professionnelle des entreprises de remorquage maritime (APERMA), Groupement des armateurs de services publics maritimes de passages d'eau (GASPE), Syndicat maritime des pêcheurs artisans CFDT (SYMPACFDT), Union des armateurs à la pêche de France (UAPF), Syndicat national des employeurs de la conchyliculture (SNEC).
[3] Le groupe de travail a pu bénéficier de l’appui d’un groupe de travail inter-administratif associant les directions d’administration compétentes, l’Etablissement national des invalides de la marine (ENIM) et bénéficiant du concours des organismes de gestion du risque AT-MP du régime général et du régime agricole.
[4] Les marins disposent d’un régime de sécurité sociale géré par l’ENIM qui assure la couverture des risques maladie, AT-MP, vieillesse et dépendance. Le régime est commun à tous les navigants professionnels du commerce, de la pêche, de la plaisance et des cultures marines, soit environ 30 000 marins actifs. D’autres marins, qu’ils relèvent du régime général, d’assurances privées ou des régimes d’assurances sociales de leurs pays d’origine, travaillent également sur des armements français.
[5] Le risque AT-MP n’est pas financé par une cotisation des employeurs, comme dans les autres régimes mais par une contribution d’équilibre du régime général.
[6] Néanmoins, les employeurs du secteur maritime sont tenus de prendre en charge l’ensemble des frais de santé et des salaires dus pour toute maladie constatée en cours d’embarquement. Ils cessent d’être dus au terme du premier mois qui suit le débarquement d’un marin malade (que la maladie soit d’origine professionnelle ou non) ou accidenté. Des stipulations conventionnelles permettent d’étendre la prise en charge jusqu’à quatre mois, en combinant prise en charge par l’ENIM et complément employeur. Plus de la moitié des armateurs sont cependant exonérés ou dispensés de cette prise en charge armement (PECA).
[7] Le secteur maritime demeure marqué par une sinistralité élevée. En dépit d’une baisse du nombre des accidents de travail, la gravité de ceux-ci demeure stable et la profession enregistre de dix à quinze accidents mortels chaque année.
[8] Le groupe de travail n’a pas trouvé de consensus sur la nécessité de construire une branche AT-MP sur le modèle des activités terrestres ou agricoles, notamment au regard de l’importance que prend dans ces régimes la responsabilisation financière des employeurs, via une tarification au risque et des incitations ou des pénalités financières ciblant les comportements vertueux ou inadaptés. Pour leur part, les organisations syndicales représentant les marins en activité sont, unanimement, favorables à cette évolution vers une branche AT-MP.
[9] De ce fait, le groupe de travail a souhaité mettre l’accent sur l’une des logiques des couvertures des risques professionnels : la priorité accordée au déploiement d’actions de prévention.
[10] En ce domaine, le secteur maritime enregistre des retards. L’effort public en la matière est dérisoire (de l’ordre de 0,6 M€) ; le pilotage des actions manque de clarté ; les actions de proximité relèvent d’organismes associatifs ou d’administrations insuffisamment coordonnées ou présentes sur tout le littoral et dans tous les secteurs.
[11] Le groupe de travail, sans se fixer pour horizon l’existence d’une branche intégrée, laquelle ne fait donc pas consensus, a retenu plusieurs propositions qui tendent à rapprocher la prévention des risques professionnels du secteur maritime des autres régimes :
- Revoir la gouvernance interne de l’ENIM, afin que les organisations professionnelles et syndicales soient représentées au sein du conseil d’administration et puissent notamment piloter et suivre les actions de prévention conduites par la branche ;
- Renforcer l’implication des services de l’ENIM dans la gestion opérationnelle des actions de prévention conduites par ses opérateurs, en appui des orientations retenues par le conseil d‘administration ;
- Dégager à court terme une enveloppe, qui doit tendre, à partir des financements actuels, vers 3 M€, afin de recruter des intervenants en prévention des risques professionnels qui seraient déployés sur les différentes façades du littoral français, Outre-Mer compris, développer des actions de communication et encourager des programmes de recherche. Cet effort pourrait être à la charge de la contribution d’équilibre de la CNAMTS au double motif que celle-ci est orientée tendanciellement à la baisse et que les actions de prévention ont vocation à renforcer cette évolution, en réduisant les dépenses supportées par le régime général.
[12] Le groupe de travail a estimé qu’une forme de responsabilisation financière des employeurs pouvait concourir à développer une culture accrue de la prévention, même en l’absence de cotisation. Il a évoqué l’hypothèse de la création d’un malus pénalisant les entreprises enregistrant une sinistralité élevée avec, comme nécessaire préalable, des concertations et expertises indispensables, dont une étude sur le coût réel de la PECA, ses dépenses prises en charge, ses mécanismes d’exonération.
[13] Les organisations d‘employeurs estiment enfin que la mise en place de nouvelles dispositions visant à responsabiliser les acteurs sur le risque professionnel suppose parallèlement de remettre à plat les mécanismes de contrôle des AT-MP.
[14] Le groupe de travail formule le souhait que les modifications réglementaires requises puissent être adoptées rapidement et que la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) traduise ces orientations, ainsi que l’engagement de la profession vers une culture accrue de la prévention, au bénéfice de la santé des marins, et dans le respect des équilibres économiques du secteur.
RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
Principes généraux
1 - Consacrer un investissement public au profit des actions de prévention des risques professionnels dans le secteur maritime.
Gouvernance
2 - Procéder à une modification de la gouvernance de l’ENIM afin que les organisations représentatives d’employeurs et de marins en activité y siègent avec voix délibérative.
3 - Utiliser les critères de représentation retenus pour les sièges au CSGM pour procéder à la désignation des futurs administrateurs issus des organisations représentatives.
4 - Amender le décret du 30 août 2010 pour indiquer que l’ENIM ne concourt plus à la PRP, mais définit et met en œuvre les mesures de prévention des AT/MP (formulation retenue pour le régime général) .
Organisation de la prévention
5 - Renforcer les moyens de l’ENIM afin qu’il se dote d’un service dédié au pilotage des actions de prévention du régime.
6 - Affecter en priorité les moyens supplémentaires dédiés à la prévention à des intervenants en prévention des risques professionnels et les déployer sur les différentes façades maritimes, y compris d’Outre-Mer.
7 - Mobiliser le secteur autour des enjeux de prévention en parallèle du déploiement du réseau de préventeurs, pour favoriser l’adhésion à leur action et ainsi augmenter l’impact concret de leurs actions sur les pratiques et la sinistralité.
Financement et gestion de la prévention
8 - Constituer une enveloppe fléchée et non fongible de dépenses de prévention dans les comptes de l’ENIM et en garantir la montée en charge puis la stabilité.
9 - Poursuivre le travail d’expertise et de concertation sur la mise en place d’un malus en cas de sur- sinistralité, dont le produit viendrait renforcer le développement des actions de prévention.
10 - Demander à l’ENIM de coordonner une enquête statistique auprès d’un panel d’assureurs et d’employeurs sur la PECA
Le rapport de 52 pages est téléchargeable :
[i] Arrêté du 17 mars 2021 portant majoration des salaires forfaitaires servant de base de calcul des contributions des armateurs, des cotisations et de certaines prestations des marins du commerce, de la plaisance, de la pêche et des cultures marines – P. CHAUMETTE, Droits Maritimes, Daloz Action, Paris, 2021, 4ème éd., n° 423.12 « Historique ».
[ii] P. CHAUMETTE, Droits Maritimes, préc., n° 423.14, « Salaire forfaitaire et rapport démographique ».
[iii] P. CHAUMETTE, « Vers la branche accident du travail – maladie professionnelle de l’ENIM », obs. sous CA Aix-en-Provence, 14ème ch., 22 novembre 2017, RG n° 2017/1672, DMF 2018, p. 218.