Contrat international de travail dans le yachting méditerranéen

28/12/2021

 La cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu un arrêt qui semble un cas d’école du contentieux international du yachting méditerranéen (CA Aix-en-Provence, 10 décembre 2021, n° 20/11511, navire Motor Yacht Revenge) ; il est exemplaire, mais également circonstancié, de sorte qu’il n’est pas généralisable. S’il relève d’une jurisprudence constante, il ne construit pas une règle générale, permettant aux acteurs professionnels de prévenir de tels contentieux, ni aux administrations d’effectuer des contrôles sur des pratiques différentes.

Il se situe dans une jurisprudence assez constante, à la différence des arrêts de la cour d’appel de Rennes, que nous avions précédemment commentés : "Contrat de travail maritime international : la cour de Rennes prend des chemins de traverse", CA Rennes, 7ème ch. prud'h., 22 mai 2019, n° 16/05002.

Un marin de nationalité française est engagé en tant que capitaine d’un yacht battant pavillon maltais, propriété d’une société de l’île de Man. Il saisit le conseil de prud’hommes de Grasse, assignant cette société et une personne, domiciliée à Verbier en Suisse, qu’il considère son véritable employeur. A-t-il deux co-employeurs ? Le conseil des prud’hommes se déclare compétent, considère que la société manxoise est son seul employeur, lui donne entièrement raison, quant à l’application de la loi française, quant au licenciement injustifié, quant au travail dissimulé, quant à son affiliation à l’ENIM. Il n’en va pas tout à fait de même de la cour d’appel.

- Conflit de juridictions.

La cour d’appel confirme la compétence prud’homale concernant un litige entre un armateur et un marin, portant sur la conclusions, l'exécution ou la rupture du contrat d'engagement maritime sur un navire étranger. La cour d’appel se fonde sur les dispositions des articles L 5000-3 et L 5542-48 du code des transports, et R 221-13 du code de l'organisation judiciaire et confirme une jurisprudence antérieure. Aucune des personnes envisagées comme employeur n’est domiciliée dans un Etat membre, mais à l’île de Man pour l’une, en Suisse pour l’autre, mais le Règlement UE 1215/2012 concernant la compétence judiciaire (section 5, art. 21 § 2) prévoit qu'un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait, dans un État membre, devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail.  Il en est de même de la convention de Lugano du 30 octobre 2007 à laquelle sont parties la France et la Suisse (art. 19). 

Avant la cession du navire Motor Yacht Revenge II, le capitaine, de nationalité française et domicilié en France, s'est acquitté de fait de l'essentiel de ses obligations en France quand le navire, d'une part, mouillait, non seulement dans le port de Gallice à Juan-Les-Pins où il était amarré le plus souvent, mais également à Cannes et en Corse, d'autre part, croisait la plupart du temps dans les eaux méditerranéennes françaises. Ainsi la compétence du conseil de prud’hommes de Grasse est retenue. 

- Des co-employeurs ou un employeur exclusif ?

La question est habituelle. L'employeur est la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations, en contrepartie desquelles elle verse une rémunération.

Il résulte des éléments d'appréciation, considérés dans leur ensemble, que c'est Y… qui s'est chargé de la gestion du navire et de l'équipage, surtout au cours de la période de navigation sous pavillon maltais que retrace un journal de bord ouvert le 20 mars 2017. Il donnait ses instructions sur les travaux à réaliser, sur les conditions tarifaires d’amarrage, le respect des obligations fiscales, les contrats de charter, les choix budgétaires. Il était l’employeur avant même la cession du navire. 

- Conflit de lois.

Le contrat de travail conclu ne l’a pas été avec l’employeur réel, mais avec un employeur fictif ; la clause se référant à la loi britannique est donc inopposable aux contractants.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a récemment eu l’occasion d’apporter quelques précisions sur le choix explicite ou certain de la loi d’autonomie contractuelle, quand une clause insérée dans un contrat préalablement rédigé par l’employeur, interroge l’acceptation du salarié (CJUE 1ère ch., 15 juillet 2021, C‑152/20, DG, EH contre SC Gruber Logistics SRL, et C‑218/20, Sindicatul Lucrătorilor din Transporturi, TD  contre SC Samidani Trans SRL – V. Lacoste-Mary, « Des précisions sur l’interprétation de l’article 8 § 1 du Règlement Rome 1 », Dr. Soc. 2021, n° 12, pp. 980-989).  Cet arrêt concerne des chauffeurs routiers roumains travaillant les uns en Italie et l’es autres en Allemagne et devant bénéficier des salaires minima italien et allemand, en dépit de contrats soumis à la loi roumaine. 

En l’espèce, à défaut de loi d’autonomie contractuelle,  même tacite, le contrat de travail est régi, sauf s'il présente des liens plus étroits avec un autre pays, par la loi du pays où le salarié, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le navire était amarré dans le port Gallice à Juan-les-Pins et croisait la plupart du temps dans les eaux méditerranéennes françaises, notamment en Corse. Lors de la cession du navire, c’est de Marseille que le capitaine a été informé de la poursuite de son contrat ; il en fut de même de l’envoi du solde de tout compte. « L'analyse de l'ensemble des éléments de la relation de travail ne permet pas de mettre en évidence l'existence de liens plus étroits avec un autre pays. Il y a donc lieu à application de la loi française. » La cour effectue un contrôle négatif du critère ultime de rattachement : « le contrat n’a pas de liens plus étroits avec un autre pays.

Dans le texte ci-dessous en téléchargement, cet arrêt d’Aix-en-Provence est situé dans l’évolution jurisprudentielle.

Dans le cadre de l’application de la loi française, le capitaine obtient la validation des heures supplémentaires non prises en compte. La cour d’appel d’Aix constate qu’il n’a pas été licencié, puisque son contrat a été poursuivi à la suite de la vente du navire. 

- Sur la protection sociale. 

La cour d’appel d’Aix infirme le jugement prud’homal concernant le travail dissimulé et l’affiliation à l’ENIM. La situation du marin au regard de la législation applicable est régie l'article 11.4 du règlement (CE) nº 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, applicable à la France, à Malte, ainsi qu'à la Suisse depuis le 1er avril 2012. Il résulte de ce règlement que la législation applicable est en règle générale celle de l'Etat membre dans lequel l'intéressé exerce son activité salariée ou non salariée sauf dans des cas spécifiques justifiant un autre rattachement. Le salarié, résidant en France, ayant exercé son activité à bord d'un navire battant pavillon maltais, est donc soumis à la législation de sécurité sociale maltaise. Il en est déduit que l'employeur n'était pas tenu de procéder à la déclaration du salarié auprès des organismes sociaux français, et ce dernier n'est dès lors pas fondé à invoquer l'existence d'un cas de dissimulation d'emploi prévu par l'article L. 8221-5 du code du travail et doit être débouté de sa demande en paiement d'une indemnité forfaitaire en application de l'article L. 8223-1 du même code.

Toutefois, il ne semble pas que l’employeur ait fait la moindre démarche pour que le marin bénéficie à Malte d’une protection sociale.

Lorsque les embarquements ont lieu sous pavillon d’un Etat extérieur à l’Union Européenne, et sans protection sociale pour l’équipage, la cour d’appel d’Aix retient le plus souvent le travail dissimulé et l’obligation pour l’employeur de régulariser la situation auprès des organismes sociaux (CA Aix-en-Provence, ch. 4-4, 21 janvier 2021, n° 18/02781, navire Overside II, DMF 2021, n° 834, pp. 343-355, «  Rattachements de contrats de travail international au travail habituel en France »). Le juge du fond doit justifier explicitement de cette obligation, qui ne découle pas automatiquement de la soumission de la relation de travail au droit français (Cass. soc. 20 février 2019, n° 17-20532 et 17-20536, SAS GDP Vendôme Promotion et autres, DMF 2019, n° 812, pp. 314-325, n. Fl. Thomas, « Clair-obscur sur les conflits de lois et l’affiliation à la sécurité sociale dans les relations de travail maritime internationales – K.D. Agbavon, « Contrat de travail maritime international : les rattachements du conflit de lois ne valent pas pour la protection sociale », Neptunus, e.revue, Université de Nantes, vol. 25, 2019/2, www.cdmo.univ-nantes.fr).

Les 21 et 28 janvier 2021, la même cour d’appel d’Aix (ch. 4-4 et ch. 4-5), avait rendu deux arrêts retenant le travail dissimulé pour des embarquements sous pavillon luxembourgeois, à bord d’un navire exploité à partir du port de Mandelieu ; l’employeur ne justifiait d’aucune démarche auprès des institutions de l’Etat du pavillon ; mais aussi sous pavillon italien, à bord d’un navire, essentiellement basé et entretenu à port Vauban à Antibes, avec seulement quelques voyages en Italie. La cour n’a fait, dans ces deux arrêts, aucune référence au règlement européen de coordination des régimes de sécurité sociale.

Une jurisprudence circonstanciée ?    

Dans le texte ci-dessous en téléchargement, nous nous interrogeons sur la diversité des raisonnements, sur la diversité des circonstances, dans le cadre d’une méthode générale assez précise : « Le choix exprès par les contractants d’une loi pour régir le contrat de travail ne peut avoir pour résultat de priver le salarié de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable (Art. 8, Règlement 593/2008 du 17 juin 2008). Il convient de rechercher le lieu habituel de travail du capitaine, ou son dernier lieu habituel de travail et, à défaut le lieu de l’établissement ayant procédé à l’embauche du travailleur ». Ces appréciations a posteriori devraient influencer les pratiques professionnelles et fonder une démarche préventive, réduisant l’ampleur de ces longs contentieux.

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