Pêche au Royaume-Uni : fin des visas de transit, mais …
01/06/2023
Pendant plus de dix ans, la pêche britannique a utilisé les visas de transit, afin que les marins pêcheurs non européens échappent à la loi sur l’immigration, et puissent travailler sans autorisation de travail, à bord des navires de pêche britannique, comme s’ils travaillaient à l’étranger, mais nullement au Royaume-Uni. Cette situation ne leur permettait que le transit terrestre entre l’aéroport et le port d’embarquement, le port de débarquement et l’aéroport à nouveau. Ils n’avaient pas le droit de séjourner à terre. Cette situation était assimilée du « travail forcé », dénoncé par ITF (Fédération Internationale des ouvriers des Transports) et par des ONG, dont Rights Lab, le groupe de recherche sur l’esclavage moderne de l’université de Nottingham. Longues heures de travail, racisme à bord… des marins du Ghana, des Philippines, d’Inde, du Sri Lanka et d'Indonésie étaient aussi largement sous-payés, gagnant à peine 3,50 livres de l’heure, un tiers du salaire officiel.
La ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, avait décidé de mettre fin à cette situation le 12 avril 2023, annonçant cette mesure avec deux jours d’avance dans un courrier aux armateurs, ce qui avait largement déstabilisé le secteur. « La position de longue date du gouvernement est que les ressortissants étrangers ont besoin d'une autorisation pour travailler dans les eaux britanniques et que les visas de transit n'ont jamais été un visa approprié à utiliser pour travailler au Royaume-Uni", a-t-elle écrit. « la disposition de la loi de 2022 sur la nationalité et les frontières (travail dans les eaux britanniques) a simplement clarifié notre position…. l'utilisation historique des visas de transit pour employer des ressortissants étrangers qui effectuent la majorité de leur travail dans les eaux britanniques signifie qu'ils ont travaillé illégalement. Le ministère de l'Intérieur est également préoccupé par l'augmentation des niveaux d'abus de travail découverts en mer et le secteur doit s'attaquer à ces problèmes de toute urgence. »
Depuis cette date, les armateurs à la pêche encouraient une amende de 23 000 euros (20 000 livres) par marin étranger travaillant à bord sans visa de travail officiel. Les armements avaient renvoyé chez eux près de 2 000 matelots, devenus illégaux, parfois sans leur payer la totalité des contrats. Cette brutalité a été dénoncée par ITF. L’ITF avait demandé des mesures « qui ne pénalisent pas [les marins] pendant la transition vers un système de visas qui respecte les règles ».
Le gouvernement britannique veut faciliter le recrutement de marins étrangers pour son secteur de la pêche, qui est en pénurie de main d’œuvre, en dépit du Brexit. La sortie de l’Union européenne devait permettre le retour à la souveraineté, une reprise en mains, un contrôle de l’immigration. La situation est en réalité très paradoxale. Mais les besoins de main d’œuvre sont là, dans tous les secteurs d’activités, agriculture, services médicaux et sociaux, hôtellerie et restauration. Contrairement aux promesses des partisans d’une sortie de l’Union européenne, le nombre d’arrivées nettes a doublé depuis 2016. Le solde migratoire – la différence entre immigration et émigration sur les douze mois de l’année – se situait à 335 000 en 2016, il a atteint en 2022 le niveau historique de 606 000, avec 118 000 arrivées nettes de plus qu’en 2021. Ces chiffres ont été publiés le 25 mai 2023 par l’Office national britannique des statistiques (ONS). L’accueil humanitaire des Ukrainiens fuyant l’agression russe (environ 114 000) et des Hongkongais refusant la reprise en main autoritaire de la Chine (environ 52 000) a tiré les chiffres à la hausse. Tout comme les délivrances de visas étudiants et de travail. Depuis début 2021, le Brexit « dur » choisi par Londres a mis fin à la liberté de circulation des Européens et le gouvernement a introduit un système de visas lui permettant de contrôler le nombre d’arrivées. Cette politique de migration choisie, avec une volonté assumée d’attirer des personnes qualifiées disposant de salaires élevés (les visas de travail sont pour la plupart délivrés sous conditions de ressources), s’est traduite par un solde migratoire négatif pour les Européens en 2022 (− 51 000), mais par un rebond de la migration nette non européenne (662 000 arrivées en 2022). Les visas de travail délivrés aux non-Européens et à leurs familles ont atteint des niveaux record (235 000), tout comme les visas étudiants (276 000), attribués majoritairement à des Indiens et des Chinois, compte tenu des importants droits de scolarité dans les universités britanniques. Ces chiffres sont à comparer aux 40 000 personnes ayant réussi à traverser la Manche en small boats en 2022.
Les besoins
étant là, les emplois du secteur de la pêche ont été ajoutés à la liste des
professions en pénurie au Royaume-Uni. « L’inscription sur la Short
occupation list signifie que les emplois sont éligibles à un seuil de salaire
inférieur de 20 % » au tarif légal, a expliqué le ministère
britannique de l’Intérieur dans un communiqué, le mardi 23 mai. Les
salaires seront de 20 960 livres sterling par an maximum
(24 232 euros) au lieu de 26 200 livres sterling
(30 290 euros), soit le double du smic anglais, et les marins
étrangers auront accès à un tarif réduit pour l’obtention de leur visa de
trois ans (479 livres au lieu de 625 livres). Cette mesure, qui
doit être mise en œuvre « avant l’été », fait partie du fonds
britannique de soutien à la filière mer (modernisation, formation et
recherche), doté de 100 millions de livres sterling (115,5 millions
d’euros). Elle intègre un suivi personnalisé, avec une accélération du
traitement des demandes d’immigration et de visas et « la garantie de
créneaux suffisants » pour les tests obligatoires de langue anglaise.
« Travail forcé dans la pêche industrielle britannique » , Observatoire des Droits des marins, 21 juin 2022,
Alejandro J. Garcia Lozano, Jessica L. Decker Sparks, Davina P. Durgana, Courtney M. Farthing, Juno Fitzpatrick, Birgitte Krough-Poulsen, Gavin McDonald, Sara McDonald, Yoshitaka Ota, Nicole Sarto, Andrès M. Cisneros-Montemayor, Gabrielle Lout, Elena Finkbeiner, John N. Kittinger, “Decent work in fisheries: Current trends and key considerations for future research and policy”, Marine Policy, 136 (2022) 10492. 2 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308597X21005339