La souplesse des contrats de convoyage, même salariés.
15/06/2023
La cour d'appel de Poitiers, le 8 juin 2023, a statué sur des contrats de convoyage, contrats d'engagement maritimes au voyage et les réclamations du capitaine. Elle avait admis, le 11 mars 2021, l'existence de liens de subordination, donc le salariat du capitaine. Cet arrêt poitevin interroge sur le cadre juridique et le "laxisme" des pratiques professionnelles.
Le convoyage a pour objet de confier à un skipper, un professionnel de la navigation, capitaine du navire, le soin de conduire le navire jusqu’à un port de destination, après l’avoir contrôlé, préparé, le cas échéant réparé en le livrant dans un état sûr et propre, le propriétaire ou le locataire du navire s’engageant, au-delà de la rémunération convenue, à fournir à l’intéressé les autorisations nécessaires et à payer les dépenses d’équipage, de rapatriement, de nourriture, de port et de carburant (Ph. Delebecque, « Les gens de mer : entre indépendance et salariat », in J.Fr. Cesaro et A. Martinon (dir.), in Mélanges en l’honneur du professeur Bernard Teyssié, LexisNexis, 2019, p. 119). Les chantiers navals ont fait appel à des prestaires qui recrute des skippers professionnels indépendants, accompagné éventuellement d’équipiers bénévoles, non rémunérés, « voileux » si besoin, mais rarement qualifiés, parfois en formation. La rémunération est forfaitaire et avec ce budget, le skipper doit nourrir, puis rapatrier ses équipiers.
Le contrat de convoyage de voiliers ou de bateaux à moteur a fait l’objet d’une circulaire ministérielle du 20 janvier 1993. La circulaire précise que le contrat de convoyage se distingue du contrat d'engagement maritime en ce que le convoyeur est un prestataire de service agissant sous son entière responsabilité, du contrat de mandat en ce que le convoyeur, vis-à-vis des tiers, n'agit pas au nom de son client, mais pour son propre compte. Il reste possible à une entreprise de plaisance professionnelle de continuer à recruter des marins par contrat d'engagement maritime pour effectuer par elle-même le convoyage des navires qu'elle exploite. Cette circulaire n'est pas publiée sur le site des circulaires du 1er Ministre et selon un arrêt du Conseil d’Etat du 23 février 2011 (pourvoi n° 334022), « une circulaire signée avant le 1er mai 2009 et ne figurant pas sur le site relevant du Premier ministre créé en application de l'article 1er de ce décret, est réputée abrogée ». Peut-elle cependant servir de référence ?
Le contrat de convoyage peut comporter un contrat d’engagement maritime, s’il ne s’effectue pas de matière autonome, mais comporte un lien de subordination, qui doit être suffisamment démontré (Cass. soc., 27 mars 1990, n° 86-43.292 - Cass. soc., 7 décembre 2016, n° 15-15669, Sté Beco Global Ltd c/ X, DMF 2017, n° 793, pp. 579-585, obs. P. Chaumette, « Contrat de convoyage et/ou contrat d’engagement maritime ? »). La cour d’Angers a considéré qu‘en dehors des directives visant à laisser le navire « dans un état sûr, sécurisé et propre » et de réaliser la livraison « selon les règles de l’art, de la façon la plus sûre possible », il n’existait pas d’éléments dans le contrat de livraison permettant de caractériser un lien de subordination, tels que l’existence d’autres consignes, avis ou conseils, ni la soumission du skipper au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Au contraire, le skipper avait tout latitude pour déterminer la date de départ, le trajet du navire et pour recruter les deux membres d’équipage (CA Angers, 3ème ch., 24 mai 2018, n° 16/02550, DMF 2018, n° 806, pp. 855-862, n. J.Fr. Dilleau, « Le contrat de livraison d’un navire de plaisance par un skipper n’est pas un contrat de travail »). La cour d’Angers semble présumer l’indépendance. A l’inverse, concernant un équipier-barreur, intervenant dans des régates, la cour d’appel d’Aix a considéré qu’il avait été employé en qualité de marin en vue d’un service à bord, relation constitutive d’un contrat d’engagement maritime ; le skipper, chargé de la navigation, ne se contentait pas de livrer le navire (CA Aix-en-Provence, 20 novembre 2020, n° 17/08022, navire Nagaïana, DMF 2021, n° 837, pp. 590-, obs. A. Bugada, « le service à bord comme seul critère du contrat d’engagement maritime du skipper régatier ? »). La cour d’Aix semble présumer la subordination, probablement faute d’un statut d’indépendant prouvé. Afin de distinguer le contrat de prestation de services du contrat d’engagement au voyage, certains contrats de « commandement de navire », fort détaillé mettent l’accent sur les dispositions de l’article L. 5531-1 du code des Transports portant sur l’autorité du capitaine à bord : « L'armateur fournit au capitaine les moyens nécessaires à l'exercice de cette autorité et n'entrave pas les décisions qui en relèvent. » Ce texte ne démontre nullement que le skipper est dans une relation d’indépendance vis-à-vis du propriétaire du navire ; il affirme seulement que le capitaine détient légalement une autonomie fonctionnelle, étant dépositaire de l’autorité publique.
Le 11 mars 2021, la cour d’appel de Poitiers a retenu un lien de subordination au sein d’un contrat de convoyage de navire : « Si, en mer, le capitaine d’un navire dispose, en raison de la spécificité de l’activité nautique, d’une autonomie décisionnelle pour faire face et s’adapter à des situations imprévues, notamment météorologiques ou techniques, cette autonomie n’est pas exclusive de la caractérisation d’une relation de travail salarié, lorsque comme en l’espèce, le donneur d’ordre a effectivement exercé un pouvoir de direction et de contrôle et s’est réservé un pouvoir de sanction (dont l’absence de mise en œuvre liée à la bonne exécution des prestations, ne constitue pas une preuve de l’inexistence) » (CA Poitiers,, ch. soc. 11 mars 2021, n° 18-02906, DMF 2021 n° 837, pp. 579-589, obs. A. Bugada, « Contrat au voyage de droit français pour du convoyage international »). La cour d’appel avait confirmé la compétence du Tribunal Judiciaire de La Rochelle, sur le fondement des articles L. 5542-18 du code des transports et R. 221-13 du code de l’organisation judiciaire, quand des contrats d’engagement maritime ont été conclus, même pour un embarquement sous pavillon étranger, entre un marin français et une société de droit français, ayant son activité en France, stipulent que les conditions d’emploi sont celles du code du travail maritime et soumettent le contrôle de leur exécution à l’inspection du travail française. La cour d’appel a renvoyé le litige au Tribunal Judiciaire de La Rochelle, reconnu compétent, après presque six années de procédure.
Le tribunal de proximité de La Rochelle, partie du Tribunal Judiciaire, le 15 novembre 2021, a considéré les demandes du capitaine non prescrites, l’a débouté de la plupart de ses demandes au titre des rappels de salaires, des indemnités de travail dissimulé, des indemnités de nourriture, de couchage et d’hébergement, de retardement pour divers contrats au voyage, a condamné l’employeur à 16 000 euros en réparation du préjudice moral. La cour d’appel de Poitiers n’est guère plus favorable aux demandes du capitaine : elle rejette la demande de renvoi d’une question préjudicielle devant le tribunal administratif de Poitiers soulevée par l’employeur, confirme le jugement, sauf en matière de préjudice moral, qui est refusé, d’indemnité de nourriture, de couchage et d’hébergement (500 euros), et de rappel de salaires (39 548 euros).
1) Une exception d’incompétence en raison d’une question préjudicielle, était soulevée par l’employeur : elle a été rejetée par la cour. Le capitaine considérait l’équipage insuffisant, surtout en qualité et compétences. Or, à l’époque, l’armateur devait obtenir de l’administration maritime une fiche d’effectif minimal, remplacée en 2017 par le permis d’armement, et lui transmettre copie des contrats d’engagement maritime. Même si l’armateur avait pu établir qu’il était en possession des fiches d’effectif minimal, ce qu’il n’a pu réussir, le juge judiciaire aurait pu statuer sur les demandes présentées par le marin sans devoir en apprécier la légalité, puisque la fiche d’effectif minimal ne dispense pas l’armateur du respect de ses obligations en matière de temps de travail et de repos et ne saurait lui éviter l’éventuel contrôle de l’inspection du travail (CA Caen, c. Réunies, 17 mars 2006, navire Pointe du Cormoran n° 04-02384, DMF 2007, n° 678, pp. 151-153, « A propos des heures supplémentaires du capitaine - Cass. soc. 17 décembre 2008, navire Capo Rosso, DMF 2009, n° 704, pp. 513-519, « Une nouvelle fois, un officier manquant »). Le décret n° 2017-942 du 10 mai 2017, relatif au permis d'armement, le définit comme l'acte authentique de constitution de l'armement administratif du navire. Il atteste notamment de la conformité de l'armement administratif du navire en matière de composition de l'équipage et des conditions d'emploi, mais de la même manière, ne saurait éviter les contrôles a posteriori de l’inspection du travail, ni les litiges judiciaires. Les navires utilisés pour un usage personnel ainsi que les navires de plaisance de formation et les engins de sport nautique définis par voie réglementaire sont munis d'une carte de circulation (art. L. 5134-1 C. Transports).
2) La cour d’appel confirme que les contrats sont soumis à la loi française, qu’il s’agit de contrats au voyage, que les demandes ne sont pas prescrites (actions contractuelles, 2 années, actions salariales, trois années). Le caractère suffisant ou non de l’équipage est interrogé. La circulaire du 20 janvier 1993 relative au convoyage des navires de plaisance, n’a aucun effet normatif, mais sert de référence : aucune qualification professionnelle n’est requise pour les équipiers d’un chef de bord, lui-même titulaire obligatoirement du brevet de patron à la plaisance (voile), engagés pour un convoyage d’un navire de plaisance français de moins de 24 mètres ou de moins de 80 tonneaux de jauge brute. La cour constate ainsi et valide les pratiques, d’équipier, bénévoles, non qualifiés, non rémunérés, sauf dans un cas de convoyage où l’assistance d’un marin qualifié s’imposait. Ainsi se fait la formation dans ce milieu professionnel : il faut navigue, se former, travailler bénévolement, sans rémunération. Ces bénévoles ne sont même pas des stagiaires. Se plaindre n’est pas pensable ou possible, il en résulterait une exclusion : la fin de tous les projets.
Les voyages, rémunérés au forfait, ont-ils été prolongé, de sorte qu’une indemnité de retardement serait due ? La preuve d’évènements affectant la durée prévue du voyage est nécessaire, mais le livre de bord de chacun des navires, attaché au bateau dès sa mise à l’eau et devant y rester, n’est pas disponible. Les pièces versées aux débats sont insuffisantes à établir le bien fondé des réclamations du capitaine : l’expert trouve les escales nombreuses et ne dispose par des éléments des journaux de bord.
La rémunération forfaitaire n’évite pas le respect des durées maximales de travail et l’existence éventuelle d’heures supplémentaires. Compte tenu de la particularité du travail maritime, le temps de travail standard des personnes travaillant à bord d'un navire est de 8 heures par jour, avec une journée de repos par semaine et des périodes de repos supplémentaires les jours fériés. Selon la réglementation nationale, les membres de l'équipage doivent respecter les temps de travail et de repos suivants : le temps de travail ne doit pas excéder 14 heures par tranche de 24 heures et 72 heures par période de 7 jours ; le temps de repos ne peut pas être inférieur à 10 heures par tranche de 24 heures et à 77 heures par période de 7 jours. Les heures de repos peuvent être scindées en deux au maximum. Dans ce cas, une des deux périodes de repos doit être d'au moins 6 heures et l'intervalle entre deux périodes consécutives de repos ne peut pas dépasser 14 heures. Au-delà de 8 heures de travail par jour, les heures supplémentaires sont rémunérées/compensées à concurrence du salaire de base majoré de 25 %. L’employeur ne fournit aucun élément de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié. La cour prend en compte l’absence de qualification des équipiers, pour retenir une surcharge de travail du capitaine. Ainsi ses demandes d’heures supplémentaires sont-elles retenues.
En application des articles L 5542-19, L 5542-31 et L 5542-56 du code des transports, l’employeur doit fournir les objets de couchage pendant la traversée et le défraiement des frais de couchage au titre du rapatriement entre le moment où le marin quitte le navire jusqu’à son arrivée à destination choisie. L’employeur n’a pas respecté ici ses obligations. La dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle : en l’espèce, les déclarations mensuelles ont été faites régulièrement auprès de l’administration maritime ; il n’est pas démontré que les contrats ont été remis avec retard, que les heures supplémentaires reconnues ont été intentionnellement négligées.
La cour de Poitiers se réfère à la circulaire de 1993, considérée comme abrogée, qui est maintenant fort ancienne, qui ne définit nullement le statut des équipiers du chef de bord, ni les compétences ou brevets exigés. Le cadre juridique du convoyage est ainsi fort souple. Que le convoyage soit une simple prestation de services ou comprenne aussi un contrat d’engagement maritime, un encadrement actualisé du convoyage semble nécessaire, sans attendre un évènement de mer, tel le décès par hyperthermie à Aden d’un équipier, plus si jeune et un peu « enrobé ». Ce fut une réalité. Une visite médicale, concernant l’aptitude à la navigation, semble une exigence minimale pour les navigations internationales. L’apport de l’arrêt poitevin porte sur la durée du travail, la reconnaissance d’heures supplémentaires qui s’ajoutent à la rémunération forfaitaire, à condition que leur existence soit démontrée. Le décret n° 2019-930 du 4 septembre 2019 porte application et adaptation aux gens de mer non-salariés de certaines dispositions du code des transports et modifie les conditions d'accès à certaines fonctions à bord ; il impose leur inscription sur la liste d’équipage, précise la notion de temps de travail effectif, le repos minimal quotidien de 10h, réduit à 8h pendant 5 jours éventuellement sur les navires de pêche, l’exigence d’aptitude médicale à la navigation et de titre de formation professionnelle, l’enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les équipiers bénévoles, passagers au travail, sont ignorés.
Le Groupement des équipages professionnels du Yachting (GEPY) donne des conseils pour démarrer une carrière dans le yachting : « Le service est omniprésent, de haute qualité, quelle qu’en soit la nature A bord, le marin va trouver : durée de travail très importante, disponibilité permanente, discipline et rigueur. Prendre le repos aussitôt que c’est possible pour être disponible quand c’est nécessaire. Ajoutons une compétence élevée nécessaire et on comprend que tout ne va pas être rose et facile. »
Patrick CHAUMETTE
CA Poitiers, 8 juin 2023, n° 21/03543 (17 pages).