Le Décret n° 2024-651 du 1er juillet 2024 et la maternité des marins femmes.

19/07/2024

Le Décret n° 2024-651 du 1er juillet 2024 est relatif au rachat des périodes d'inaptitude temporaire à la navigation, intervenues avant le 1er janvier 2016, des femmes marins enceintes. Il complète l’évolution législative et réglementaire intervenue depuis 2006, puis 2016, en ce domaine. Ce décret est fondé sur l’article 88 de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024, et sur l’article L. 5542-37-2 du code des transports créé à cette occasion.

Le Décret n° 2024-651 du 1er juillet 2024 permet aux assurées sociales de l’ENIM, déclarées temporairement inaptes à la navigation, en raison de leur grossesse, de racheter des cotisations vieillesse, correspondant aux périodes concernées ; ces cotisations conditionnent la prise en compte, pour la pension de retraite, des périodes d'inaptitude antérieures à 2016 des femmes exerçant la profession de marins déclarées temporairement inaptes à la navigation en raison de leur état de grossesse. Le décret définit les modalités de calcul de ces cotisations ainsi que les pièces qui accompagnent toute demande de prise en compte de ces cotisations pour le calcul de la pension. La demande doit être adressée à l’ENIM avant la liquidation de la pension de retraire, avec les justificatifs nécessaires, notamment la suspension du contrat en raison de l’impossibilité du reclassement à, terre par l’employeur (art. D. 5553-3 C. transp.). La cotisation personnelle est calculée, pour ces périodes, sur le salaire forfaitaire applicable avant la déclaration d’inaptitude temporaire, en application du taux en vigueur à ce moment, au prorata du nombre de jours concernés, avant le début du congé de maternité (art. D. 5553-4 C. transp.).


Le code du travail maritime ignorait la maternité, comme l’adoption, sans doute en raison de ses origines militaires, dues à l’inscription maritime, pourtant supprimée en 1965. Sans être marins, les Agents du Service Général (ADSG), c’est-à-dire le personnel hôtelier des paquebots, puis le personnel commercial à bord des ferries, furent affiliés à la Caisse de prévoyance des marins français, dès sa création, par la loi du 29 décembre 1905. La loi du 14 juillet 1908 les a affiliés à une Caisse de retraite pour la vieillesse, gérée par l’ENIM. A la suite de la suppression de l’inscription maritime, les ADSG rejoindront les anciens inscrits maritimes au sein de la caisse de retraite des marins français. A la suite de la suppression de l’inscription maritime, les ADSG rejoindront les anciens inscrits maritimes au sein de la caisse de retraite des marins français. Le décret-loi du 17 juin 1938 a réorganisé le régime de l’assurance obligatoire des marins, prenant en compte en développement des assurances sociales et notamment de l’assurance-maladie. Cette législation nouvelle prenait en compte la maternité et l’accouchement de la femme ADSG, en sus des maternités des femmes de marins. L’article 39 du décret-loi du 17 juin 1938 prévoit une indemnité forfaitaire d’accouchement et de soins, des allocations d’allaitement et une indemnité de repos, égale à la moitié du salaire[1]. En 2023, 3 784 femmes marins sont affiliées à l’ENIM, pour un total de 37 804 inscrits au total. Les statistiques de l’ENIM font état d’une quarantaine d’accouchements pris en charge chaque année, avec un lent accroissement, puisque le nombre est de 51 en 2007, dont 43 relèvent de la 3ème à la 7ème catégorie incluse.


A l’époque, il n’a pas semblé utile au législateur de compléter le code du travail maritime en matière de maternité. Compte tenu des prestations versées par la CGP de l’ENIM, les prestations maternité des femmes marins étaient identiques à celles des autres femmes salariées. Dès lors, celles-ci ont semblé bénéficier d’un congé de maternité dans les conditions du code du travail, vis-à-vis de leur employeur comme si ces dispositions législatives leur étaient effectivement applicables. La prohibition du travail des femmes en couches, pendant huit semaines au total avant ou après leur accouchement, et dans les six semaines suivant leur délivrance, ainsi que les pénalités, était insérée au sein du Code du travail (art. L. 1225-29 et R.1227-6)[2]. De même, le congé d’adoption n’était pas expressément ouvert aux marins. Lors des premiers congés de maternité de femmes marins, il a fallu transposer les dispositions du code du travail, sans que cela ne soit explicitement prévu ; les éventuelles sanctions pénales l’imposaient. Nous avons considéré dès 1993, que le congé de maternité, principe général de droit, s’imposait au code du travail maritime, dans le silence du législateur et concernait le contrat d‘engagement maritime[3].

Cette extension des dispositions du code du travail était renforcée par la portée de la Directive 92/85/CEE du Conseil du 12 octobre 1992 sur les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Il s’agit d’une directive particulière au sens l’article 16 de la directive cadre 89/391 du 12 juin 1989 concernant l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, les travailleuses visées constituant un groupe à risques spécifiques dont la vulnérabilité justifie des mesures particulières[4]. Cette directive comporte une clause de non régression des droits nationaux formulée de manière insistante : la directive ne peut pas avoir pour effet la régression du niveau de protection national (art. 1, § 3). L’employeur doit assurer une évaluation des risques encourus par les femmes du fait de leur activité, prendre les mesures de prévention et de formation indispensables, éventuellement procéder à un aménagement provisoire des conditions de travail ou à un changement de poste, ou, à défaut, une suspension de l’exécution du contrat de travail interviendra. Ces aménagements concernent notamment le travail de nuit (art. 7). La rémunération ou une prestation adéquate, et plus généralement les droits liés au contrat de travail, donc l’ancienneté, doivent être maintenus malgré les mesures d’organisation du travail, les dispenses éventuelles de travail, ainsi que le congé de maternité (art. 11)[5].


La loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006, relative à la sécurité et au développement des transports, a introduit le congé de maternité au sein du droit du travail maritime de manière implicite et explicite. « Les modalités d’application à la femme marin enceinte du chapitre V du titre II du livre II de la première partie du Code du travail, notamment en cas d’impossibilité d’être affectée temporairement dans un emploi à terre, sont déterminées par décret en Conseil d’État, en tenant compte des adaptations nécessaires » (ancien art. 5-2 C. Trav. Mar. ; C. transp., art. L. 5542-37-1). Le congé de maternité a aussi été étendu aux élèves des écoles de marine marchande[6]. Il en résulte que le congé de maternité du Code du travail s’applique aux femmes marins enceintes, mais aussi que la période prénatale de grossesse est spécifique : l’aptitude à la navigation, définie par l’arrêté du 16 avril 1986, conduisait à ce que la femme marin enceinte était le plus souvent inapte à la navigation, en raison des vibrations et de l’instabilité du navire. Il convient alors d’envisager son reclassement provisoire dans un emploi à terre, ce qui n’est pas aisé dans de nombreux armements. À défaut d’un tel reclassement à terre, la femme marin enceinte devait bénéficier d’une garantie de rémunération, pendant la suspension de son contrat d’engagement maritime, composée d’une allocation à la charge de l’Enim et d’une indemnité complémentaire à la charge de l’employeur. Une prestation extra-légale, pour les femmes marins enceintes déclarées temporairement inaptes à la navigation en raison de leur état de grossesse, avait été mise en place par la circulaire de l’ENIM du 12 juin 2008 relative à l’assurance maternité et paternité dans le régime de sécurité sociale des marins.

Depuis le 1er janvier 2016, une garantie de rémunération composée d’une allocation journalière, servie par le régime spécial de sécurité sociale des marins, l’ENIM, et d’une indemnité complémentaire à la charge de l’employeur, est mise en place, par le décret n° 2015-1202 du 29 septembre 2015, relatif à l’indemnisation de la femme enceinte exerçant la profession de marin ne pouvant bénéficier d’un reclassement à terre [7]. Le montant cumulé de l’allocation journalière et de l’indemnité complémentaire est égal à au moins 90 % du salaire forfaitaire du dernier embarquement, tel que défini par l’article 7 du décret-loi du 17 juin 1938 (article 42 et suivants modifiés, du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins).


La femme marin enceinte n’est plus déclarée systématiquement inapte par le médecin des gens de mer. Il est tenu compte de la volonté de la femme marin enceinte. Plus précisément, l’état de grossesse donne lieu à une évaluation d’aptitude tenant compte notamment des conditions de travail et d’éloignement, intégrée dans une démarche de qualité de service indiquant ce qu’il est possible de faire ou ne pas faire. L’arrêté du 16 avril 1986 relatif aux conditions d'aptitude physique à la profession de marin à bord des navires de commerce, de pêche et de plaisance, art. 24, a été d’abord modifié par l’arrêté du 30 janvier 2015, art. 2, avant d’être abrogé par l’arrêté du 2 mars 2016, art. 4 (V).

« L'état de grossesse fait l'objet d'une évaluation spécialisée qui tient compte des travaux interdits au sens de la réglementation du travail, des conditions de vie et de travail à bord, de l'éloignement imposé par le type de navigation, des expositions professionnelles à des agents infectieux, chimiques et physiques, en particulier aux substances mutagènes ou toxiques pour la reproduction, et aux facteurs organisationnels, notamment le travail de nuit. Les femmes enceintes ainsi que les mères dans les six mois qui suivent leur accouchement et pendant la durée de leur allaitement bénéficient d'une surveillance médicale renforcée. L'état de grossesse pathologique est incompatible avec la navigation. » (Annexe I « Normes d’aptitude médicale des gens de mer », point 18 « Gynécologie-obstétrique », du décret n° 2015-1575 du 3 décembre 2015 relatif à la santé et à l'aptitude médicale à la navigation).

En application des articles 39 à 43 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l’unification du régime de sécurité sociale des marins, le régime de prévoyance des marins (RPM) prend en charge les frais de l’assurance maternité pour ses assurés, de manière identique à la prise en charge exercée au régime général pour ses assurés. Le décret n° 2015-1202 du 29 septembre 2015 relatif à l’indemnisation de la femme enceinte exerçant la profession de marin ne pouvant bénéficier d’un reclassement à terre, a modifié l’article 42 du décret-loi du 17 juin 1938 prévoyant l’indemnisation de la femme marin enceinte inapte temporairement à la navigation.

L’assurance maladie-maternité des marins fut élaborée à partir de la loi du 5 janvier 1930, afin d’élargir aux marins le développement des assurances sociales. Les prestations en nature sont en principe les mêmes que celles du régime général des salariés, prise en charge des dépenses de santé, indemnités journalières en cas d’arrêt de travail ; il en est de même de l’assurance maternité dont la caractéristique est la suppression de tout ticket modérateur et donc le remboursement de la totalité des dépenses médicales, hospitalières ou pharmaceutiques. Pendant la durée de l’arrêt maladie ou maternité, le marin perçoit une indemnité journalière équivalente à 50 % de son salaire forfaitaire. L’assurance maladie-maternité des marins ne présente que des spécificités mineures, tels les salaires forfaitaires ; pour l’essentiel, tant les prestations en nature que celles en espèces sont identiques au régime général des salariés terrestres. Pendant les périodes de congé de maternité ou d’adoption, il n’y a pas de cotisation de la salariée à l’assurance-retraite ; ces périodes permettent aux assurés sociaux de valider des trimestres pour la retraite, à la différence des indemnités maladie ou des allocations-chômage : avant avril 2014, le trimestre de l’accouchement était validé ; depuis avril 2014, un trimestre est validé pour chaque période de 90 jours d’indemnités journalières au titre de la maternité.


Le Décret n° 2024-651 du 1er juillet 2024 est relatif au rachat des périodes d'inaptitude temporaire à la navigation, intervenues avant le 1er janvier 2016, des femmes marins enceintes. Il permet aux assurées sociales de l’ENIM, déclarées temporairement inaptes à la navigation, en raison de leur grossesse, de racheter des cotisations vieillesse, correspondant aux périodes concernées ; ces cotisations conditionnent la prise en compte, pour la pension de retraite, des périodes d'inaptitude antérieures à 2016 des femmes exerçant la profession de marins déclarées temporairement inaptes à la navigation en raison de leur état de grossesse. Le décret définit les modalités de calcul de ces cotisations ainsi que les pièces qui accompagnent toute demande de prise en compte de ces cotisations pour le calcul de la pension. La demande doit être adressée à l’ENIM avant la liquidation de la pension de retraire, avec les justificatifs nécessaires, notamment la suspension du contrat en raison de l’impossibilité du reclassement à, terre par l’employeur (art. D. 5553-3 C. transp.). La cotisation personnelle est calculée, pour ces périodes, sur le salaire forfaitaire applicable avant la déclaration d’inaptitude temporaire, en application du taux en vigueur à ce moment, au prorata du nombre de jours concernés, avant le début du congé de maternité (art. D. 5553-4 C. transp.).


[1] G. Ripert, Droit Maritime, Dalloz, Paris, T. I, Navigation – Navires – Personnel – Armateurs - Créanciers, 4è éd., 1950, n° 712, pp. 626-627 – R. Jambu-Merlin, Les gens de mer, Traité général de droit maritime, R. Rodière (dir.), Dalloz, Paris, 1978, n° 264, pp. 237-238.


[2] Protection de la grossesse et de la maternité, art. L. 1225-1 à L. 1225-34 C. Travail.

[3] P. Chaumette, Le contrat d’engagement maritime- Droit social des gens de mer, CNRS Ed., 1993, p. 167-171- Maternité apparaît dans l’index alphabétique de l’ouvrage.

[4] P. Rodière, Traité de droit social de l’Union Européenne, LGDJ, Paris. 2008, n° 469 et s., pp. 470-472 ; 3ème éd., 2022, n° 476, pp. 651-653.

[5] B. Palli et M. Schmitt, « L’effectivité de la protection juridictionnelle de la femme enceinte en cas de licenciement », Droit social 2010, n° 3, pp. 334-341.


[6] C. éducation, art. L. 421-1 et L. 757-1, modifié par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006, art. 45. L’article L. 421-21 a été abrogé par la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018, art. 28 (V). Depuis la rentrée scolaire 2019, tous les élèves et étudiants de l'enseignement maritime (Lycées professionnels maritimes, LPM et Ecole nationale supérieure maritime, ENSM) sont affiliés au régime d'un de leurs parents jusqu'à l'âge de 24 ans pour leur couverture maladie / maternité, et à la couverture souscrite par leur établissement auprès du régime général en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, y compris pendant leurs périodes d’embarquement sous convention de stage (CSS art. L. 160-17 et L. 160-18, art. D. 160-1). Par exception, les élèves et étudiants de l’enseignement professionnel maritime en contrat d’apprentissage, de professionnalisation ou d’engagement maritime sont pris en charge par l’ENIM pour l’ensemble des risques (P. Chaumette, Droits Maritimes, Dalloz Action 4ème éd., 2021, n° 423-19).


[7] Instruction Enim n° 28 du 4 décembre 2015 concernant les congés de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption du régime spécial de sécurité sociale des marins, puis Instruction ENIM du 25 juillet 2019, concernant les prestations du régime spécial de sécurité sociale des marins liées à l’accueil de l’enfant.

https://www.enim.eu/sites/default/files/fichiers_attaches/aj2_c_in015-instruction_concernant_les_prestations_liees_a_laccueil_de_lenfant.pdf

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