Contrat de travail international : quels délais de prescription ?
17/09/2024
Les délais de prescription d’une action en justice, dans le cadre d’un contrat de travail international, relèvent-ils de la loi du contrat, loi d’autonomie contractuelle, choisie par l’employeur, ou de la loi du lieu d’exécution du contrat ? Le délai de prescription de l’Employment Jersey Act s’applique à un contrat d’engagement maritime exécuté en France, alors qu’il est nettement plus bref et qu’il n’est pas certain qu’il soit mentionné expressément dans le contrat écrit ?
La relation de travail entre le capitaine du yacht et la société Ngoni Ltd a commencé le 4 mai 2018 pour s’achever le 25 mai 2019, une durée de 386 jours. Pendant cette période, le navire a été pris en charge par le chantier IMS à Saint-Mandrier du 15 octobre 2018 au 20 mai 2019, soit pendant 217 jours. La cour d’appel d’Aix a ainsi considéré que la majeure partie du temps de travail du capitaine avait été effectuée en France (CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 29 septembre 2023, Navire Ngoni, n° 2023/244, DMF 2013, n° 862, pp. 908-920, « Travaux dans un chantier naval français et contrat d’engagement international ». Ainsi cet arrêt avait retenu la compétence prud’homale, infirmant le jugement d’incompétence du Conseil de prud’hommes de Toulon. Sur le conflit de lois, le capitaine invoquait l'article 8 § 1 du Règlement (UE) n°593/2008 du 17 juin 2008 : « La loi choisie par les parties ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi de son lieu de travail habituel ». Ainsi le code du travail et le code des transports sont applicables au litige, la « méthode combinatoire » écartant la loi britannique de Jersey, invoquée par l’employeur, dès qu’elle est moins favorable. Le licenciement intervenu verbalement est sans cause réelle et sérieuse, selon lui.
Même si l'article 10 de l'Employments Amendment Jersey Law ne comporte aucune disposition relative au licenciement abusif, l'employeur invoquait un délai de prescription de 8 semaines. Cette prescription de la loi d'autonomie contractuelle est-elle compatible avec les dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail qui prévoyait un délai de prescription de deux ans (devenu douze mois depuis la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018) ?
Sur le caractère impératif des délais de prescription, la réponse de la jurisprudence est négative. « Il est de principe que, dès lors que le salarié n'est pas privé du droit d'accès au juge, les règles de procédure aménageant les délais de saisine des juridictions du travail ne portent pas atteinte aux dispositions impératives de la loi française qui auraient été applicables en l'absence de choix d'une loi étrangère applicable au contrat de travail (Cass. soc. 12 juillet 2010 pourvoi n° 07-44.655, Cass. soc. 28 septembre 2016, pourvoi n° 15-10.736 et Cass. soc. 7 novembre 2018 pourvoi n° 16-27.692). En 2010, il s’agit d’un contrat de travail soumis à la loi espagnole, qui prévoit un délai de prescription de 20 jours, qui n’apparaît pas contraire à l’ordre public international, selon la formule de l’arrêt, même si le travail est exécuté en France. En 2016, il s’agit de deux contrats de travail, l’un de droit allemand, l’autre de droit belge ; à nouveau, le délai de prescription ne fait pas partie des dispositions impératives de la loi française du lieu habituel de travail. En 2018, le salarié relevait aussi de deux contrats de travail, l’un de droit espagnol, l’autre de droit belge ; le lieu d’exécution habituel du travail fut l’objet d’un premier litige et il fut établi qu’il se situait en France (Cass. soc. 9 juillet 2015, n° 14-13.497). La cour d’appel d’Orléans, statuant sur renvoi après cassation avait estimé les licenciements sans cause réelle et sérieuse et avait condamné solidairement la fondation et le gérant notamment au paiement de différentes sommes. Elle s’appuyait notamment sur l’article 8 de la Convention n° 158 de 1982 de l’OIT sur le licenciement qui évoque un droit de recours dans un délai raisonnable, considérant ainsi que le délai de prescription appartient aux dispositions impératives. Ainsi le délai de 20 jours de la loi espagnole ne peut-il pas s’appliquer. Cet arrêt d’appel est cassé (Cass soc. 7 nov. 2018, n˚ 16-27.692, Ruiz Picasso, D. 2018. 2192 ; RDT 2019. 127, obs. E. Pataut ; RCDIP 2019, n° 3, pp. 861-867, obs F. Jault-Seseke, « Loi applicable au contrat de travail et au co-emploi, entre confirmation et précisions ».
C’est seulement si les règles de prescription privent le demandeur de toute action en justice que le juge compétent appliquera la loi du for. La jurisprudence française est conforme aux exigences de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH 11 mars 2014, n° 52067/10, Moor c/ Suisse, D. 2014. 1019, note J.-S. Borghetti ; Dr. soc. 2015. 719, étude J.-P. Margénaud et J. Mouly ; pour une application, v. Soc. 3 avr. 2019, n° 17-15.568, D. 2019. 2339, note I. Ta ; RDT 2019. 401, étude A.-S. Ginon ; RTD civ. 2019. 586, obs. H. Barbier). La Cour de justice semble adopter la même position (CJUE 31 janv. 2019, aff. C-149/18, da Silva Martins, JDI 2019. 23, note L. Pailler, spéc. point 34). La Cour de cassation n’invoque plus l’ordre public international, comme en 2010, mais seulement l’ordre public interne. Le délai de prescription espagnol de 20 jours, n’est pas contraires aux dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail qui prévoit un délai de prescription de deux ans, propre aux actions portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, et n’est pas d’ordre public.
La cour d’appel d’Aix applique cette jurisprudence : le capitaine devait saisir le conseil des prud’hommes dans un délai de 8 semaines (art. 76 Employment Jersey Law 2003) ou démontrer qu’il ne lui était pas raisonnablement possible de saisir une juridiction (CA Aix-en-Provence, ch. 4-6, 15 mars 2024, n° 22/12855, navire Ngoni, v. Droits Maritime Français 2024, n° 871, pp. 730-738, note Me Patrick SIMON, « Prescription en contestation de licenciement en vertu du droit du pavillon »).
Sur le contrat de travail international, conflits de juridictions et conflits de lois,
Voir « Contrat international de travail dans le yachting méditerranéen », un cas d’école du contentieux international du yachting méditerranéen (CA Aix-en-Provence, 10 décembre 2021, n° 20/11511, navire Motor Yacht Revenge), 28 décembre 2021,
https://www.obs-droits-marins.fr/actualites.html?idArticle=605
« Contrat d'engagement maritime international : l'arrêt Schlecker trouble la cohérence », CA Aix-en-Provence, Ch. 4-6, 22 septembre 2023, n° 2023/240 Eric Di Mascio c/ SA Magellan Management & Consulting, Observations 3 octobre 2023,
https://www.obs-droits-marins.fr/actualites.html?idArticle=633