Destruction d’herbiers de posidonie par mouillage de yachts : sanctions pénales de capitaines et préjudice écologique.
25/11/2024
Le Tribunal Maritime de Marseille, le 22 novembre 2024, a condamné deux capitaines de yachts, qui avaient mouillé dans des zones interdites en Méditerranée, à l’indemnisation du préjudice écologique, en sus des sanctions pénales déjà prononcées.
Face au besoin de protection des herbiers de posidonie et aux enjeux de sécurité maritime, le préfet maritime a décidé en avril 2019, de renforcer l’encadrement du mouillage et de l’arrêt des navires. Depuis cette date, un ensemble d’arrêtés préfectoraux ont été élaborés après concertation de l’ensemble des acteurs du monde maritime pour réglementer les mouillages, notamment des yachts de plus de 24m. L'arrêté n° 123/2019 fixe le cadre général du mouillage et de l'arrêt des navires dans les eaux intérieures et territoriales françaises de Méditerranée. Il précise qu'il est ainsi interdit de mouiller dans une zone correspondant à un habitat d'espèces végétales marines protégées et donc l'herbier de posidonie. L’arrêté préfectoral n° 177/2022 du 16 juin 2022 réglementant la durée du mouillage des navires dans les eaux intérieures et la mer territoriale françaises de Méditerranée. L’arrêté préfectoral n° 157/2024 du 23 mai 2024 réglemente le mouillage et l’arrêt des navires de longueur hors-tout supérieure ou égale à 45 mètres, ou dont la jauge brute est supérieure à 300 UMS, dans les eaux intérieures et la mer territoriale françaises de Méditerranée. L’arrêté préfectoral n° 258/2024 du 11 juillet 2024 règlemente la durée du mouillage de ces navires dans les eaux intérieures et la mer territoriale françaises de Méditerranée. les yachts de plus de 24 mètres ont interdiction de mouiller à l'intérieur des lignes vertes. L’application Donia, créée en 2013 par Andromède Océanographie, en partenariat avec l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse, permet aux capitaines de savoir s’ils mouillent dans une zone appropriée (« L’application DONIA, pour des balades en mer respectueuses de l’environnement », mis à jour le 18/07/2024).
Entre juin 2021 et septembre 2023, le yacht « Take Off » (26 mètres) a mouillé son ancre à trois reprises dans des zones interdites à Cannes et Saint Tropez. Lors de l’audience pénale, le capitaine du navire a été condamné à 20 000 € d’amende et une interdiction de navigation d’un an dans les eaux territoriales françaises, par le tribunal maritime, le 20 octobre 2023. En juin 2023, le yacht « My Falcon » (51 mètres) a mouillé son ancre dans une zone interdite à Cannes. Lors de l’audience pénale, le capitaine du navire a été condamné à 15 000 € d’amende.
Lors de l’audience civile du 28 juin 2024, deux associations (France Nature Environnement, FNE et la Ligue de Protection des Oiseaux, LPO) constituées parties civiles, ont demandé au tribunal maritime de se prononcer sur le préjudice écologique porté à l’herbier de posidonie par les capitaines de yachts précités ; elles évaluaient le préjudice écologique à 200 000 €, dans chacune des affaires.
Le 22 novembre, ce tribunal a retenu le préjudice écologique sur le plan civil et a condamné les capitaines de yachts à verser des indemnités de 86 537 € (« Take Off ») et 22 423 € (« My Falcon ») en compensation de la perte de valeur écosystémique. Ces sommes seront versées à l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse pour mener des opérations de restauration écologique des herbiers de posidonie. Les capitaines devront également payer des sommes de 5 000 € (« Take Off ») et 4 000 € (« My Falcon ») au titre de préjudice moral aux parties civiles, FNE et LPO.
C’est la première fois que les juges reconnaissent un préjudice écologique d’atteinte à l’herbier de posidonie. Par la même occasion, le tribunal reconnaît que les associations sont fondées, en l’espèce, à agir en réparation du préjudice écologique. Le tribunal a aussi admis la présomption de dommages sur l’herbier de posidonie, dès lors qu’un navire mouille en zone protégée par arrêté préfectoral. En l’absence de preuve contraire, le mouillage dans une zone protégée est présumé causer des dommages aux herbiers. Ce principe repose sur l’impact environnemental reconnu du mouillage dans ces zones sensibles et sur l’importance des herbiers de posidonie pour les écosystèmes marins.
Le préjudice écologique réparable est celui qui atteint de manière non négligeable les éléments ou les fonctions des écosystèmes, ou les bénéfices collectifs que l'homme tire de l'environnement. La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, poursuivant l'objectif d'intensifier de façon significative la lutte contre le changement climatique, a instauré au sein du code civil, aux articles 1246 à 1252, un fondement législatif relatif au régime de responsabilité du préjudice écologique. Précédemment, le préjudice écologique avait pris forme au sein de la jurisprudence et était notamment défini comme une atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement, sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais affectant un intérêt collectif légitime (Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, navire Erika, « De la faute de témérité caractérisée à la notion de préjudice écologique révélée », Dalloz, 4 octobre 2012 ; v. L. Neyret, « L'affaire Erika : moteur d'évolution des responsabilités civiles et pénale », D. 2010. 2238). Reprenant cette définition, d’autres arrêts sont ensuite venus dessiner les contours des modalités de réparation d'un tel préjudice, en accordant la possibilité à une association agréée d'obtenir la réparation du préjudice écologique qu'elle a subi (Cass. crim. 22 mars 2016, n° 13-87.650, LPO c/ Sté Total Raffinage).
Communiqué de la Préfecture Maritime de la Méditerranée « Le préjudice écologique d’atteinte à l’herbier de posidonie reconnu par le tribunal maritime de Marseille », 22 novembre 2024