PIRATES DES MERS D'ASIE
01/09/2005
Article de Antoine de Ravignan paru sur Alternatives Internationales
LES HISTOIRES DE FLIBUSTE fascinent. Et celles de pirates des temps modernes d'autant plus que ces derniers sont surtout présents dans le détroit de Malacca, entre Indonésie et Malaisie, par où transite près du quart du commerce maritime international et la moitié du pétrole transporté par tankers.
Une rupture de ce flux de 50.000 navires par an, et c'est la crise économique globale assurée. Les «chiens de mers» sont-ils alors à même de rompre ce maillon faible de la mondialisation ?
Pas vraiment répond Stefan Eklof, chercheur à l'université de Lund (Suède) dans un ouvrage à paraître sur le sujet (1) et pour qui cette vision catastrophiste tient surtout du fantasme.
Certes, depuis 1984, près de 4.000 actes de piraterie ont été dénombrés, dont la moitié en Asie. Certes, le phénomène s'est amplifié dans les années 2000 : 330 cas en 2004, dont 169 en Asie du Sud-Est. Mais sur ces derniers, 75 concernent des faits survenus au port ou au mouillage et s'apparentent davantage au casse d'un grand magasin.
Les 92 cas restants, dont 74 % dans le détroit de Malacca, concernent des attaques, mais aussi des tentatives d'attaque en mer. Avec le passage de 200 navires par jour, la probabilité d'être victime des pirates y est ainsi inférieure à 0,2 %. La grande majorité des attaques survenues au sud du détroit sont de faible intensité (un abordage de bandits mal armés qui pillent ce qu'ils peuvent et repartent un quart d'heure plus tard).
Restent les assauts violents, qui ont été les plus nombreux au nord de Malacca (15 cas pour 18 attaques effectives et 16 tentatives) : morts et blessés par balles lors de l'abordage, kidnapping de l'équipage et demande de rançon, exécution des otages.
Mais que fait la police? Comme le rappelle Stefan Eklof, les pays de la région n'ont pas de raison de payer de leurs deniers la protection d'un trafic passant dans des eaux internationales et sur lequel ils ne perçoivent pas de redevance. Quant aux armateurs, la faiblesse de leurs pertes n'est pas une incitation pour investir dans la sécurité. Les pirates des temps modernes sont finalement à la mondialisation ce que les flibustiers des Caraïbes étaient à l'empire d'Espagne : pas grand chose. Excepté pour les victimes, éternelles oubliées de l'histoire : les matelots et leurs familles ...
(1) Pirates in Paradise: a Modern History of Southeast Asia's Maritime Marauders, par Nias Press (Copenhague, sortie prévue en décembre 2005)
DIXIT
"Les propriétaires de bateaux se sentent peu concernés par la piraterie. Car, les attaques sont rares et les pertes subies sont inférieures au coût d'une police d'assurance. Donc, conformément à la loi du marché, la piraterie persistera tant que le coût de la protection sera supérieur aux pertes occasionnées. »
Stefan Eklof (°Piracy, real menace or red herring ?", article en ligne sur www.atimes.com)
Alternatives Internationales numéro de Septembre 2005